A Monsieur le Président de l’Université de Toronto, Le Prof. Naylor
Monsieur le Président, Cher Collègue,
Je viens d'apprendre, à ma grande stupéfaction, que l'université de Toronto envisage la suppression de son Centre de littérature comparée. Je me permets de vous écrire cette lettre ouverte parce que mon association à ce Centre est de longue date. J'y suis venue la première fois en 1992 comme titulaire de la Norhrop Frye Professorship. Mon séminaire avait pour sujet «Proust et le temps sensible» et mes conférences sont à l'origine de mon livre, portant le même titre, qui parut l'année suivante. Par la suite, je suis revenue plusieurs fois en tant que Visiting Professor pour y faire les conférences qui ont abouti à deux autres livres de ma trilogie sur Le génie féminin : Hannah Arendt (1999) et Colette (2002). Enfin, en l'an 2000, j’ai eu l’honneur d’obtenir le titre de Docteur Honoris Causa de votre Université. Je suis convaincue que le rôle que Northrop Frye a joué dans les études littéraires, et plus largement dans la compréhension de la littérature comme mode de pensée spécifique (et non pas simplement comme loisir ou décor), nécessite une approche interdisciplinaire que les universitaires canadiens et la communauté scientifique internationale se doivent de développer et d'approfondir en sa mémoire.
Frye a ouvert une perspective de recherche qui est d'une brûlante actualité : la littérature au voisinage de l'esthétique (le sensible et le beau) et du besoin de croire (spiritualismes et religions). La littérature comparée à donc un rôle inattendu à assumer dans un siècle de heurts de religions.
L'Unesco a voté une convention pour la diversité culturelle que la France et le Canada ont inspirée et soutiennent activement. Cette politique qui se propose un nouveau contrat social pour la globalisation, basée sur l'interaction entre diversité -- contre la banalité comme « mal radical » (Arendt)- a besoin d'être étayée par des connaissances précises sur les langues et leurs expressions culturelles, et que la littérature comparée et les sciences humaines peuvent précisément développer et fournir.
Vous comprenez, Monsieur le Président, mon inquiétude devant les mesures administratives envisagées qui me paraissent brutales et à fort relent obscurantiste. J’espère de tout cœur que l’Université de Toronto n’acceptera pas cette recommandation de « dés-établir » son Centre de littérature comparée.
En vous remerciant de l’attention que vous voudriez bien porter à cette lettre,
Recevez, Monsieur le Président et Cher Collègue, l’expression de ma haute considération à de mes meilleures pensées,
Julia Kristeva
le 21 juillet 2010
Translation to follow.
ReplyDeleteMonsieur le Président, Cher Collègue,
ReplyDeleteI have just learned, to my great dismay, that the University of Toronto is considering the elimination of its Centre for Comparative Literature. I am writing to you because my connection to this Centre goes back many years. I first came to the Centre in 1992 as the holder of the Northrop Frye Professorship. My seminar, entitled “Proust et le temps sensible”, and its ensuing lectures formed the basis of my book of the same title, which came out the following year. I subsequently returned several times as a Visiting Professor to give lectures which led to two other books in my trilogy on the female gender: Hannah Arendt (1999) and Colette (2002). Finally, in 2000, I had the honor of being named Doctor Honoris Causa at your university.
I am convinced that the role Northrop Frye played in literary studies, and more widely in the global understanding of literature as a particular type of thought (and not merely as a hobby or affectation) merits an interdisciplinary approach that Canadian academics and the international academic community must develop and deepen as part of his legacy.
Frye initiated a research perspective that is urgently contemporary in its relevance: the idea of literature as sharing the same space as the aesthetic (both the perceptible and the beautiful) and the need to believe (spiritualities and religions). Comparative Literature thus has a heretofore unexpected role to play in a time of religious clashes.
UNESCO passed a resolution in favour of cultural diversity that both France and Canada inspired and actively support. This policy, which is intended to be a new social contract for globalization, based on the interaction amongst diversities—against banality as a “radical evil” (Arendt)—must be supported by a precise knowledge of languages of their cultural expressions , a knowledge that Comparative Literature and the humanities can indeed deepen and provide.
Mr. Naylor, please understand my worry concerning these proposed administrative changes. They appear drastic and they carry with them an implication of obscurantism. I hope with all my heart that the University of Toronto will not accept the recommendation "disestablish" its Centre for Comparative Literature.
En vous remerciant de l’attention que vous voudriez bien porter à cette lettre,
Recevez, Monsieur le Président et Cher Collègue, l’expression de ma haute considération à de mes meilleures pensées,
Julia Kristeva
[Translation by Adleen Crapo, Centre for Comparative Literature]